Rencontre avec Suzanne Lindon, l’héroïne du film La Venue de l’avenir
Dans La Venue de l’avenir, présenté hors compétition au Festival de Cannes 2025, Suzanne Lindon incarne Adèle, une jeune femme à la recherche de sa mère, plongée dans le tourbillon d’une époque en pleine mutation. À l’occasion de la présentation du film de Cédric Klapisch sur la Croisette, elle nous raconte sa collaboration avec le célèbre réalisateur et son attachement à ce personnage complexe…
propos receuillis par Nathan Merchadier.
Depuis près de quarante ans, Cédric Klapisch s’est attaché à filmer la complexité des relations humaines. Posant sa caméra au plus près d’une émotion brute, le cinéaste révélé par le film Le Péril jeune (1995) continue de mettre en scène des récits s’inscrivant dans des thèmes aussi universels que l’amour, l’amitié, le deuil et la quête d’identité.
Quelques années après avoir filmé les coulisses d’une troupe de danseurs dans En corps (2022), le réalisateur devenu l’un des maîtres de la comédie sociale revient avec La Venue de l’avenir, un long-métrage présenté hors compétition au Festival de Cannes 2025.
Au sein de ce film choral (dans lequel on croise Vincent Macaigne, Paul Kircher ou encore Vassili Schneider), l’actrice Suzanne Lindon – fille de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain – incarne le personnage d’Adèle, une jeune Normande qui regagne Paris à la recherche de sa mère. Une héroïne à la fois romantique et éprise de liberté, dont le parcours fait écho aux fractures d’un siècle en pleine transformation. À l’occasion de la présentation du film sur la Croisette, la comédienne revient sur ses souvenirs de tournage et sa collaboration avec Cédric Klapisch…

L’interview de Suzanne Lindon au Festival de Cannes 2025
Numéro : Vous êtes aujourd’hui à Cannes pour présenter le nouveau long-métrage de Cédric Klapisch. Pourquoi avoir choisi de rejoindre le casting du film La Venue de l’avenir ?
Suzanne Lindon : Ce qui m’a d’abord donné envie de faire ce film, c’est Cédric Klapisch, un cinéaste que j’admire profondément. J’ai grandi avec ses films, ils ont accompagné mon regard, ma sensibilité, et j’avais très envie de me plonger dans son univers. C’est toujours très fort, en tant qu’acteur, d’entrer dans l’imaginaire d’un réalisateur avec une identité aussi marquée. Et puis il y avait ce personnage, que j’ai adoré tout de suite. Elle est à la fois romantique et traversée par quelque chose d’épique. Elle incarne son époque [le XIXe siècle, ndlr], et en même temps, elle porte des questionnements qui résonnent de manière très contemporaine. Sa quête identitaire, ses doutes, sa volonté d’émancipation… Ce sont des choses qui me touchent personnellement. C’est pour cela que j’avais envie de lui prêter ma voix et mon corps.
Dans ce film, votre personnage semble n’obéir à aucune règle si ce n’est son instinct. Comment avez-vous préparé ce rôle ?
Adèle quitte sa campagne pour venir à Paris, une ville en pleine effervescence artistique et culturelle, qu’elle ne comprend pas. Elle ne sait ni lire ni écrire et débarque dans un monde dont elle ignore les codes. Et pourtant, il y a en elle une force incroyable, une volonté viscérale d’avancer, de comprendre et de s’émanciper. C’est vraiment cet équilibre que j’ai voulu chercher. Quand j’ai enfilé un corset pour la première fois, j’ai ressenti une contrainte physique très forte. Je ne pouvais plus respirer comme d’habitude, ni marcher de manière naturelle. Mon corps était entravé, mais ma tête, elle, restait libre, pleine de pensées, de désirs, de révoltes. Et je me suis dit : c’est peut-être cela, Adèle. Une jeune femme bridée par son époque, par son milieu, par son genre aussi, mais qui n’a jamais cessé d’imaginer, de rêver, de vouloir plus. Ce contraste-là m’a beaucoup guidée.

“En tant que jeune acteur, on porte une certaine responsabilité (…) Celle d’être en phase avec le monde dans lequel on vit.” Suzanne Lindon
La Venue de l’avenir est un film choral. Comment s’est déroulée votre rencontre avec le reste du casting ?
Ce que j’admire beaucoup chez Cédric, c’est sa capacité à créer des troupes. J’ai adoré être accueillie dans cette “famille klapischienne”. Quand on est une jeune actrice, c’est très valorisant de sentir qu’un réalisateur comme lui vous regarde et vous choisit, parce que cela signifie qu’on incarne, à ses yeux, quelque chose de la jeunesse d’aujourd’hui. Ma rencontre avec l’acteur Abraham Wapler a été un vrai bonheur. On est vraiment devenus amis, ce qui rendait le jeu d’autant plus fluide et sincère. Et puis il y a eu une connexion très particulière avec la comédienne Sara Giraudeau, qui joue ma mère à l’écran. Il fallait qu’une forme d’évidence passe entre nous, une complicité, quelque chose de l’ordre de l’émotion contenue. C’est un film choral, oui, mais c’est surtout un film où le lien entre les comédiens se ressent profondément à l’écran, parce qu’il était réel sur le tournage.
Vous faites partie de cette nouvelle génération d’acteurs français en vogue. Quelle responsabilité pensez-vous porter à travers vos choix de rôles ?
Avec Paul Kircher ou Vassili Schneider, je pense que l’on partage une certaine vision du métier. On a tous envie d’insuffler quelque chose de nouveau au cinéma et peut-être aussi de porter une certaine responsabilité. Celle d’être en phase avec le monde dans lequel on vit. C’est paradoxal parce que ce milieu reste associé au glamour, aux paillettes… Mais j’ai l’impression que de plus en plus, ce qui nous relie, c’est le goût du travail, l’envie de défendre des films forts et de remettre le cinéma au centre. Cette exigence-là, cette envie de profondeur, je crois qu’on est nombreux à la porter dans notre génération.

“Ce qui a été le plus difficile pour moi, ce n’était pas tant la pression extérieure, mais plutôt cette question de légitimité.” Suzanne Lindon
Vous avez défendu à Cannes un autre long-métrage, il y a quelques années de cela : Les Amandiers (2022) de Valéria Bruni-Tedeschi…
Ce que j’aimais dans mon rôle dans Les Amandiers, c’est qu’il était à contre-courant. Alors que tous les autres personnages étaient acceptés dans cette grande école de théâtre, moi, j’incarnais celle qui se faisait recaler. Et finalement, c’est aussi une part de la vérité de ce métier. Il y a les moments où ça marche, mais aussi ceux où l’on échoue. Et ce personnage-là, il portait cette réalité. Celle du rejet, mais aussi de l’espoir qui persiste malgré tout. Je me souviens qu’en arrivant à Cannes avec ce film, je me suis dit : voilà, c’est exactement cela, la loterie que représente ce métier. Un jour on vous dit non, le lendemain vous êtes sur la Croisette.
Comment faites-vous face à la pression de ce milieu ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui travaille déjà dans ce milieu. Même si on n’en parlait pas vraiment à la maison, j’ai observé, de loin, ce que signifiait cette vie. Un métier de passion, certes, qui rend profondément heureux, mais pour lequel il faut aussi énormément s’accrocher. Je crois que ce qui a été le plus difficile pour moi, ce n’était pas tant la pression extérieure, mais plutôt cette question de légitimité. Me sentir à ma place. C’est sans doute ce qui m’a poussée à réaliser mon propre film, Seize Printemps, en 2020. Pour me prouver à moi-même que je pouvais porter un projet de bout en bout. Au fond, je ne sais pas s’il y a une vraie méthode pour faire face à tout ça. Mais ce dont je suis certaine, c’est qu’il ne faut jamais lâcher.

Quel effet cela fait-il de revenir à Cannes pour défendre un film, quelques années après y avoir présenté votre premier long-métrage en tant que réalisatrice…
Revenir à Cannes, c’est forcément un moment très fort. La première fois que j’y suis venue, c’était pour Seize Printemps, mon tout premier film, qui avait été sélectionné en compétition officielle. C’était pendant l’année du Covid, donc l’édition était un peu particulière, presque irréelle, mais malgré tout, j’en garde un souvenir extrêmement marquant. J’ai eu le sentiment que Cannes avait été le tout premier lieu à vraiment m’accueillir en tant que jeune cinéaste, c’est un souvenir fondateur. Et puis cette année, y revenir avec La Venue de l’avenir, c’est très émouvant aussi. C’est la première fois que Cédric Klapisch présente un de ses longs-métrages en sélection officielle. Il y a quelque chose de symbolique et de fort à vivre cela ensemble.
Quels sont vos projets ?
Je viens tout juste de terminer l’écriture du prochain film de Claire Denis, Le Cri des gardes, un projet que l’on a coécrit ensemble. Elle l’a tourné récemment au Sénégal, avec Matt Dillon et Isaach de Bankolé. C’est une adaptation d’une pièce de Bernard-Marie Koltès, et pour moi, ça a été une expérience absolument passionnante. Travailler avec Claire, c’est à la fois intense, exigeant et très inspirant. Et puis, je suis arrivée à Cannes tout juste hier… en direct de l’île Maurice, où je tournais un nouveau film réalisé par Gustave Kervern. Je donne la réplique à Léa Drucker et Mathieu Amalric, c’est un projet très fort. Encore une belle aventure !
La Venue de l’avenir, de Cédric Klapisch, avec Suzanne Lindon, actuellement au cinéma.